EDMOND VICTOR MAURICE TRANCHANT DE LUNEL
(La Ferté Saint Jouarre, 25 novembre 1869-La Seyne sur Mer, 29 novembre 1932)
Né en 1869, à la Ferté Saint Jouarre, Maurice Victor Tranchant
est le fils d’un marchand de meule de moulins. Adolescent, il rentre au collège
de Eaton, puis à Oxford. En février 1888, il est admis à l’École des beaux-arts
à Paris, en section d’architecture. Il devient l’élève d’Eugène Georges Debrie.
En 1896, il rentre à l’Académie Jullian pour suivre des cours d’aquarelle.
Ses premières œuvres picturales datent de son voyage
qu’il a effectué en Mésopotamie, au printemps 1898. Il visite les villes
bordant le Tigre et l’Euphrate notamment Bagdad. De cette cité, il a retenu les
petits bateaux ronds au bord du fleuve. Les scènes fluviales semblent l’attirer
car il reprend le thème des bateliers dans son aquarelle de Bassorah. Ces deux
œuvres donnent les caractéristiques essentielles de sa manière de peindre. Il n’utilise qu’une palette de couleur
réduite traitée en camaïeu. Les personnages sont à peine ébauchés mais
reconnaissables par leurs costumes. Ses compositions comportent toujours une
architecture. À peine revenu du Moyen Orient, Maurice Tranchant de Lunel
s’embarque pour l’Afrique Occidentale Française, à l’automne 1898. Durant un
an, il voyage au Sénégal et en Guinée. Les œuvres, qu’il rapporte de cette
expédition, servent pour la décoration du pavillon du Sénégal-Soudan à la
section coloniale qui est installée au Trocadéro à Paris de 1900, section qui complète
l’Exposition Universelle.
Les
premières aquarelles de l’artiste sont signées « Maurice Tranchant »,
celles datées des années 1900
mentionnent « Tranchant de Lunel ». L’artiste a changé son patronyme
en lui rajoutant la particule « de Lunel », qui est le nom de sa femme,
afin de se différencier d’un autre artiste nommé Maurice Tranchant.
Entre
1900 et 1909, il réside à Paris au Manoir de Richelieu à Rueil. Passionné de
bateau (yacht notamment), il devient membre du Club nautique de Nice de 1902 à
1906[1]. C’est donc à bord de son yacht personnel, Le
Saint-Alban qu’il fait le
tour de la Méditerranée. En 1902, il est à Fès, au Maroc. En 1908, il
séjourne encore une fois dans l’empire Chérifien: il se rend à Tanger, à Fès et
dans la Chaouïa. Cette même année, il est invité par le Sultan Abd el Aziz à
rester auprès de lui à Rabat. Il participe aussi au premier salon de Tanger.
Par
une lettre du 26 octobre 1909, il demande une mission gratuite au ministère de
l’Instruction publique et des beaux-arts afin de faire des recherches sur
l’histoire de l’art aux Indes anglaises, en Birmanie, au Siam, en Indochine et
en Chine. En novembre 1909, le ministère lui accorde cette mission. De cette
longue escapade en terre asiatique, l’artiste rapporte des aquarelles. Comme au
Moyen Orient, l’eau est son fil d’Ariane. Dans la Baie d’Along, il
représente pour la première fois, un site vierge de marque humaine. Seule la
beauté de la nature, déclinée en bleu, est présente. Les aquarelles qu’il rapporte de ces contrées
ainsi que celles du Moyen-Orient sont exposées à la Galerie Georges Petit à
Paris entre avril et septembre 1912[2] ainsi
que ces premières toiles du Maroc[3].
En
1910, Tranchant de Lunel décide de s’installer à Nice, à la Cisterna, 36
Boulevard Mont Boron qui devient sa résidence principale jusqu’en 1914.
En
janvier 1911, il est de nouveau au Maroc, à Fès, bien que son cruiser (petit
yacht), Le-Kitsoumé, soit inscrit au meeting de Monaco, en avril 1911[4]. En
effet après la signature du protectorat, le 31 mars 1912, il voit la capitale
chérifienne en révolte : les mellahs de Fès sont détruits par des hordes
d’insurgés, car les Juifs accueillaient, depuis la fin du XIXème siècle, les
Français. Afin de s’occuper des Israélites, une Commission officielle est organisée
sur ordre du Sultan. Maurice Tranchant de Lunel y participe au côté Si Mohamed
Tasi (ministre des travaux publics), M. Elmaleh (directeur de l’Alliance israélite
universelle de Fès), M. Mercier (Consul de France), le docteur Weisgerber et
d’autres médecins[5]. Durant cette période,
Maurice Tranchant de Lunel rencontre, le 21 mai 1912, le Général Lyautey, tout
juste investi de sa charge de Commissaire Résident général du Maroc. Lors de
cette entrevue à Fès, le général nomme l’artiste comme directeur du nouveau
Service des beaux-arts, antiquités et monuments historiques, dont le siège se
situe rue Sidi Fatah au cœur de la médina de Rabat. Il laisse ce poste vacant
de 1916 à 1917 afin de pouvoir visiter l’Alhambra et rencontrer le conservateur
du site afin de prendre connaissance des nouvelles techniques de restaurations
susceptibles d’être appliquées au Maroc. Son adjoint, Joseph de la Nézière le
remplace donc durant son absence.
De
1914 à 1920, en tant que directeur du Service des antiquités, beaux-arts et
monuments historiques, Maurice Tranchant de Lunel fait restaurer les médersas
de Fès, les enceintes et les portes monumentales des médinas marocaines. Il
s’occupe plus particulièrement de la réfection du jardin des Oudaïas en lui
redonnant une seconde vie sous l’aspect d’un jardin andalou. Nommé par Lyautey,
dès 1913, comme architecte de la résidence générale à Rabat, ses plans sont
vites abandonnés au profit de ceux d’Albert Laprade. D’ailleurs, les deux
hommes ne s’apprécient guère. Il faut croire que le caractère de l’artiste ne
plait pas à tous : les rapports sont tendus avec Joseph de la Nézière,
Henri Prost et Albert Laprade. Seul Lyautey apprécie Maurice Tranchant, car
leurs relations sont plus intimes.
Entre
1917 et 1922, l’artiste participe aux expositions de peintures marocaines
organisées à Casablanca et à Paris. C’est durant ses surveillances des médinas
marocaines qu’il effectue des aquarelles de belles factures. De Casablanca, il
représente un coin de la médina, dont le caractère blanc est visible dans le
traitement chromatique, à l’arrière plan, des maisons marocaines qui
contrastent avec les tonalités des ombres bleuâtres de la porte monumentale, au premier et second plan.
Les costumes des passants rappellent cette dualité de couleur. L’aquarelle est
répartie en larges touches laissant parfois la peinture former elle-même les
contours des sujets. C’est aussi dans des tonalités sombres qu’est représenté
l’intérieur d’un hammam à Salé. Comme dans l’aquarelle de Casablanca, les
architectures sont mieux détaillées que les personnages : les baigneurs
sont reconnaissables par leurs burnous de couleurs vives. Cette volonté de
traiter l’architecture plus en détails provient certainement des clichés
photographiques qu’il prend pour modèle afin de peindre. Cette analogie est notamment
visible dans deux aquarelles : le patio de la medersa Es Sahrij et la
place Nejjarine à Fès. Dans ces deux œuvres, de nombreux personnages ont été
rajoutés pour meubler les espaces vides et donner de la vie. Ce dynamisme est
encore plus accentué dans l’aquarelle de la cour de la médersa qui est
présentée un peu d’oblique afin de rendre une meilleure profondeur à l’image.
Entre
le 25 décembre1918 et le 1 avril 1919, Maurice Tranchant de Lunel part, avec le
docteur Hérisson et la Harka du Pacha el Hadj Thami, pour se rendre dans la région du
commandement Glaoua, au Sud de l’Atlas[6]. De cette expédition, il
rapporte de nombreux dessins et aquarelles qu’il fait paraitre dans un article
de la revue France-Maroc, le 15 septembre 1919. Comme tant
d’autres peintres du Maroc, il collabore en tant qu’illustrateur et rédacteur
d’articles pour la revue France-Maroc dont le premier numéro paraît en
1916.
En
1921, le général Gouraud réclame sa présence auprès de lui en Syrie afin de
mettre sur pied une foire d’échantillons à Beyrouth. Durant son séjour au
Proche Orient, l’aquarelliste en profite pour croquer quelques paysages et
villes aux couleurs et à la lumière denses. De retour au Maroc en juin 1921, il
permet aux architectes de la future Mosquée de Paris de visiter Fès afin de se
familiariser avec l’architecture la mosquée Fès Jdid. En novembre 1921, les
souverains Belges visitent le Maroc. Tranchant de Lunel leur fait visiter le
palais Bou Jeloud[7].
Pourtant,
dès 1920, l’artiste est inquiété par la justice : on lui reproche d’incitation
à la débauche sur des mineurs et d’importer de l’opium au Maroc. Ces problèmes judiciaires
obligent la Résidence à limoger Tranchant de Lunel le 1 avril 1923, tandis que paraît son livre, Maroc,
au pays du paradoxe, dont
le but est de justifier l’action de l’artiste au sein du Service des
beaux-arts du Maroc.
De
retour en France, il installe son atelier de peinture sur une péniche, Ma Galère, en bord de Seine, tout en
habitant à Notre Dame des pins à Tamaris, juste à côté de la Seyne sur Mer,
dans une villa (résidence familiale). Mais, en 1925, les tracas judiciaires le rattrapent :
il est poursuivi en correctionnelle pour tenue de fumerie d’opium dans sa villa
et de détention illégale de stupéfiants[8]. Malgré
ces soucis, Maurice Tranchant de Lunel continue à vivre normalement, il donne
même, assez souvent, de belles réceptions à bord de sa péniche parisienne où
tout le beau monde est invité comme en juillet 1930[9]. Le
peintre participe aussi à de nombreuses manifestations comme à l’exposition des
Arts décoratifs de 1925 où il y réalise, en tant qu’architecte, le pavillon du
Maroc au côté de Fournez[10]. Ne
supportant plus le climat humide de la capitale, il quitte définitivement Paris
pour Tamaris. Jean Cocteau lui rend visite en 1932 ainsi que le Maréchal
Lyautey, entre le 4 et le 21 avril 1932.
Il y décède le 29 novembre en succombant à une maladie pulmonaire[11].
[8] « Découverte d’une
fumerie d’opium : l’affaire Tranchant de Lunel », Les Annales coloniales, 3 mars 1925, p.1
La police a perquisitionné la villa de Tranchant de
Lunel, à Tamaris, et elle a découvert un important stock de matériel pouvant
servir à plusieurs opiomanes : sept pipes, des pots de drogue, des lampes,
des aiguilles et trois kilos d’opium.
[9] Valfleury, « Dans le
monde », Le Figaro, 8 juillet
1930, p. 2.
[10] « L’Exposition des
Arts décoratifs », Art et
décoration, mai 1925, p.4.
[11] Valfleury, « Deuils », Le Figaro, 3 décembre 1932, p.2
[2] F.M,
« Exposition Tranchant de Lunel », L’Art et les Artistes, avril 1912, p. 235
[3] Le Masque de Fer,
« Paysages du Maroc », Le
Figaro, 12 juin 1912, p.1
[4] « Le huitième meeting
de Monaco », Navigazette, 9 mars
1911, p. 7-8
[5] Alliance israélite
universelle, Les évènements de Fès, Paris,
1912, p.5
[6] www.ouarzazate-1928-1956.com/les-glaoua/janvier-1919-la-premiere-colonne-francaise.html
[7] « Les souverains Belges au
Maroc », France-Maroc, novembre 1921,
p. 222.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Si vous avez des informations à rajouter ou des liens intéressants vers d'autres sites en rapport avec le thème, merci de m'en faire part.